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Tunisie – Jeunes journalistes et fiers de l’être

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Les journalistes tunisiens semblent bien vouloir laisser derrière eux la période de Ben Ali, la censure ou encore les restes de la propagande et de la corruption. Le temps d’une journée, ils se sont mobilisés autour d’une grève générale le mercredi 17 octobre. Parmi eux, une nouvelle génération de jeunes  journalistes a affirmé ses droits à une information libre.

Ils ne sont pas tous sortis de l’IPSI (Institut de presse et des sciences de l’information), l’école qui a formé de nombreux journalistes de l’ancienne génération. La plupart des jeunes journalistes tunisiens se sont formés sur le terrain. Certains sont tombés dans le journalisme après la révolution, d’autres ont profité des nouvelles libertés pour tenter un métier qu’ils avaient toujours voulu faire. Entre l’engagement citoyen et la plume, beaucoup ont trouvé dans la profession un moyen d’exprimer la voix du peuple. La frontière entre engagement et professionnalisme n’est pas toujours nette pour ces jeunes journalistes mais les deux constituent la force de leur combat pour une presse libre. La mobilisation du 17 octobre a été la concrétisation d’une lutte qui peinait à rassembler toute la profession. Pour la première fois, la grève générale a été portée unanimement à la fois par l’ancienne et la nouvelle génération de journalistes. Parmi les nombreuses revendications qui témoignent d’un ras-le-bol face au manque de dialogue avec le gouvernement, la liberté d’expression et le respect des droits du travail sont les revendications primordiales. La nouvelle génération saura-t-elle porter jusqu’au bout le mouvement? Chacun raconte à sa manière l’importance de la mobilisation et revient sur les raisons qui l’ont amené à faire ce métier.

Des journalistes devant le syndicat lors de la grève générale du 17 octobre. Crédits photos: Jihed Mabrouk

Zied Dabbar, 30, journaliste au Temps

En grève de la faim depuis sept jours, Zied a ressenti une grande émotion le soir du 17 octobre, quand les journalistes de Dar Assabah ont réussi à obtenir le limogeage de Lotfi Touati. Fatigué mais soulagé, ce journaliste n’aurait jamais pensé en arriver là pour défendre son métier. Entré dans la profession en 2009 pour éviter le chômage, le journalisme devient une passion pour Zied qui se forme aussi au reportage de guerre et s’engage dans des programmes de formation pour la sécurité des journalistes. Il est membre de la Fédération internationale des journalistes et œuvre dans différentes associations pour sensibiliser ses collègues à la déontologie et aux règles du métier. Aujourd’hui, il se bat pour le journal le Temps avec l’ensemble de ses collègues et continuera la grève jusqu’au vendredi 19 octobre, où certaines mesures de la part du gouvernement devraient être annoncées officiellement.

La première grève d ela faim devant Dar assabah, Crédits photos: amine Boufaied

Olfa Riahi, 30 ans journaliste à radio IFM

«Je ne soutiens pas la grève de journalistes ni ce mouvement» déclare Olfa Riahi, journaliste à la radio IFM mais bien connu aussi pour ses positions tranchées. C’est elle qui avait écrit une lettre ouverte à Charb exprimant tout son dégoût pour les caricatures de Charlie Hebdo sur le prophète. Blogueuse, sa plume lui permet de s’exprimer ouvertement. En tant que journaliste, c’est avant tout le souci de l’enquête et de l‘information qui la préoccupent. Même si elle croit en la force des médias tunisiens «J’ai choisi de poursuivre dans le journalisme parce les médias sont à mon sens le seul moyen de parvenir aujourd’hui à construire la nouvelle Tunisie et d’entamer une sorte de révolution intellectuelle des esprits,» elle reste pourtant la voix dissonante parmi ceux qui soutiennent la grève et dénonce un «trop grand manque de professionnalisme, de sérieux et de compétence» dans le métier.

Emine M’itraoui, 26 ans, journaliste à Nawaat.org

Emine est jeune dans le métier et pourtant il s’est déjà bien fait connaître auprès du gouvernement et de l’opinion publique. C’est lui qui a dénoncé l’agression physique dont il a été victime à sa sortie du local du parti politique d’Ennahdha en avril dernier. La politique et ses coulisses, il connaît bien puisqu’il a longtemps milité dans le syndicat étudiant de gauche et a milité pour le parti du pôle démocratique (aujourd’hui Massar) pendant les élections. Il rejoint l’équipe de Nawaat, site créé par des cyberdissidents, car il réalise après les élections du 23 octobre «que le moment n’est plus à la politique mais qu’il s agit d’être un citoyen actif et vigilant.» Le meilleur moyen pour lui reste le milieu journalistique et l’écriture. Il milite pour ses collègues et va interviewer le journaliste Cheker Besbes lorsque celui-ci est devant la justice pour avoir filmé le procès Nessma. La grève et ses aléas, il connaît. Lui-même avait entamé une grève de la faim sauvage à Nawaat pour soutenir son collègue Ramzi Bettaieb qui dénonçait le manque de transparence dans le procès des martyrs de la révolution.

Dix jours sans manger, Emine n’en a que faire et il se mobilise de nouveau le 17 octobre pour «pour protester contre les conditions précaires dans lesquelles on travaille, surtout au niveau des agressions dont nous sommes souvent victimes». Plus que la liberté d’expression, c’est aussi une profession qu’il défend aujourd’hui : le droit à une certaine audace journalistique, révéler ce qui est caché sans subir la pression de représailles ou de menaces.

Emine M'tiraoui interviewevant un gréviste de Dar assabah. Crédits photos Valérie Loewensberg

Naïma Charmiti, 31 ans, journaliste à Arabesque TV

Après avoir fait l’IPSI, Naïma s’oriente vers le journalisme télévisé et travaille dans différentes chaînes privées comme Hannibal ou Nessma. Depuis la révolution, elle a pu développer ce qui l’intéressait vraiment dans son métier, la relation avec le citoyen. Munie souvent d’une petite caméra, elle se fond dans les manifestations, prend des photos, poste sur les réseaux sociaux et joue avec Instagram. Elle mélange le journalisme traditionnel et les nouvelles pratiques qui ont participé au succès de la révolution. Créatrice de la web-télé arabophone Arabesque TV, son idée était de rassembler tout ce qui peut créer le buzz sur le net, des vidéos partagées sur Facebook aux informations échangées via Twitter. Le site recoupe ensuite les informations et publie. Son souci principal est l’honnêteté journalistique même si les dérapages et les erreurs font partie de l’expérience post révolutionnaire. Elle s’est mobilisée le 17 octobre pour mettre fin à «l’establishment» comme elle le qualifie du pouvoir gouvernemental sur les médias mais continuera de se battre si la réforme tant attendue du secteur médiatique n’est pas menée à terme.

Naima Charmiti le 17 octobre devant le syndicat des journalistes en grève. Crédits photos: Jihed Mabrouk

Hechem Lameri, 25 ans, journaliste à la radio Mosaïque FM

Hechem a commencé à travailler en 2010 à la radio Mosaïque FM en tant que webmaster, il devient journaliste et rédacteur après la révolutions. Aller vers le journalisme était pour lui une manière de dénoncer «plusieurs dépassements dont j’ai été témoin sous le régime Ben Ali et qui méritaient d’être reportés.» La grève générale, il l’attendait depuis longtemps car victime d’agressions verbales et physiques au cours de plusieurs manifestations, il estime que la profession n’est pas protégée mais surtout que ces atteintes ne sont pas assez suivies. Son but en tant que journaliste est aussi d’essayer de changer la relation entre le citoyen et le journaliste, rétablir une certaine crédibilité perdue sous Ben Ali.

«On doit prouver à tout le monde qu’on essaie du mieux qu’on peut de changer la donne, qu’on donner une nouvelle image des médias, qu’ils soient publics ou privés. Il faut montrer des médias qui ne sont plus des spécialistes de la propagande comme ils l’étaient pendant le règne de Ben Ali et de Bourguiba, mais des observateurs et des dénonciateurs des maux du pays.»

Hechem rêve à des médias qui jouent un vrai rôle  de «quatrième pouvoir» en Tunisie et il s’est mobilisé avec ses collègues pour rappeler à tous, la lourde responsabilité qui incombe aujourd’hui aux journalistes.

Hechem dans les studios de la radio préparant l'interview de Béji Caïd Essebssi. crédits Photos: Mosaïque Fm

Sarah Ben Hamadi, 27 ans, journaliste à Tekiano.com

Comme beaucoup d’autres, Sarah n’a pas fait d’études journalistiques «car il faut dire que sous Ben Ali, ce métier n’existait pas vraiment» dit celle qui s’est fait connaître par ses écrits sur son blog, un œil sur la planète. Devenir journaliste est un moyen pour elle de s’investir d’avantage dans la transition démocratique mais aussi d’avoir une chance de faire correctement un métier, impossible à pratiquer avant. Aujourd’hui, elle s’occupe du site culturel et politique, Tekiano.com tout en collaborant avec Mediapart et TSA Algérie. La grève du 17 octobre est aussi une manière de dire que la «liberté de presse est un droit des citoyens» et non pas seulement le privilège des journalistes car la censure était aussi bien subie par les citoyens :

«Nous ne savions pas ce qu’est un bon journal, une bonne enquête ou un journal télévisé de qualité. Ce qui fait qu’encore aujourd’hui, nous ne disposons pas de réelles références dans le métier.»

L’avantage de la nouvelle génération est d’être «plus libre et moins formatée» pour Sarah qui espère que la mobilisation du 17 octobre permettra aussi à la profession de prendre conscience de la responsabilité des médias libres après la révolution.

Feres Khiari, 25 ans, journaliste à TWT, Tunisia World TV

Animateur et producteur démissions culturelles à 19 ans dans une petite radio locale, Tounes Bledi,  Feres est passé aussi par la communication tout en poursuivant des études de sciences politiques à Tunis. Il travaille depuis peu en tant que présentateur dans une nouvelle chaîne de télévision tunisienne TWT et s’occupe du desk culture. Pour lui les allers-retours entre le journalisme et la communication lui ont permis de se créer un réseau de contacts mais aussi de mieux se former au journalisme par le terrain. La mobilisation du 17 octobre représente pour lui , un engagement en tant que journaliste mais aussi en tant que citoyen qui se bat pour le droit à l’information. Il soutient ses collègues des médias contre des conditions de travail souvent illégales, sans contrat ou protection sociale. Mais la principale lutte de Feres, engagé dans les débats constitutionnels, reste de mettre fin aux restrictions liberticides pour la liberté d’expression dans la futur constitution. Malgré la grève du 17 octobre, le chemin vers des médias libres et indépendants reste encore long pour Feres qui considère que peu de choses ont changé dans la profession après le 14 janvier.

«L’oppression des médias continue et laisse des cicatrices plus profondes qu’avant. Il y a une vraie  mainmise sur les médias notamment les organes publiques.» La grève reste avant tout pour lui un moyen d’alerter face à l’urgence de la situation est urgent et face au «vide juridique actuel, vide qui constitue un important levier de contrôle sur les médias ».


Synda Tajine et Monia Ben Hamadi, 28 ans et 26 ans journalistes à Buisness News

Journaliste depuis un peu plus d’un an, Synda a toujours voulu faire du journalisme mais ne voyait pas d’avenir dans le métier sous la dictature.Pourtant après le 14 janvier, master en création d’entreprise à la main, elle saute le pas et commence à travailler dans le média en ligne Buisness News et admet avoir du mal à gérer l’hostilité envers les médias, du côté des gouvernements successifs tout comme de certains Tunisiens. Pour la jeune journaliste, la grève du 17 octobre est un un moyen de ne pas se «laisser faire» et leur «attachement à la liberté» même si elle ne dure qu’un seul jour. Pour Monia qui a commencé à travailler au sein de Buisness News en novembre 2011 il s’agissait de «vivre et témoigner pleinement de la transition démocratique». Elle dénonce aujourd’hui le manque de moyens matériels pour faire correctement un travail de journaliste d’investigation, le problème du laissez-aller de certains au militantisme ou au journalisme d’opinion et les conflits d’intérêts au sein de nombreux organes médiatiques. La grève est pour elle le moyen de se révolter mais aussi de montrer que le combat n’est pas seulement celui de la liberté d’expression mais aussi celui d’une réforme du secteur.

Monia Ben Hamadi

Azza Turki, 30 ans, journaliste à Réalités

Azza a vu le bouleversement déclenché par la révolution en moins d’un an au sein de l’hebdomadaire Réalités. Des sujets basés sur essentiellement sur la politique étrangère, elle passe à une couverture intensive de l’actualité tunisienne, mène des dossiers et des enquêtes. Elle prend rapidement en charge la rubrique politique dans le média Réalités qui doit se racheter une réputation après les années de censure sous Ben Ali.  Le 17 octobre, elle a fait grève car malgré une situation régulière et un salaire fixe dans son journal, elle connaît bien les galères récurrentes de ses collègues.

«Les journalistes de Dar Essabah ont été les premiers à mener un combat courageux et largement inégal. J’ai fais la grève par devoir parce qu’aujourd’hui plus qu’ hier nous devons montrer et démontrer notre solidarité.» Si elle admet que certains journalistes font encore des erreurs par manque d’expérience ou de professionnalisme, «rien ne justifie le retour en arrière et la stigmatisation actuelle des médias.» Le problème reste selon elle, le ressenti à fleur de peau de chaque journaliste tunisien face à une transition qu’ils vivent aussi activement en tant que citoyens: «Il est difficile aujourd’hui d’arriver à prendre du recul dans notre profession.»

Vidéo amateur de Jihed Mabrouk prise lors de la grève des journalistes du 17 octobre


Melek Lakdhar, 34 ans, journaliste au Temps

Sa photo est partout depuis le début du mouvement de grève des journalistes de Dar assabah, entre les interviews et le travail quotidien au journal, Melek ne chôme pas. Professeur de français reconvertie en journaliste, elle écrit des articles culturels pour Tunis-Hebdo huit mois avant la révolution. Elle s’intéresse à une jeunesse désabusée et aux artistes indépendants parfois interdits de performance en Tunisie. Mais la révolution lui permet réellement de s’engager. «Ce qui m’a marqué, c’était le chaos du paysage médiatique après la révolution et la perte de confiance entre les médias et les Tunisiens.» A son travail de journaliste, s’ajoute alors un mea culpa pour essayer de renouer avec un lectorat. Melek traitera du dossier sensible des martyrs de la révolution ou encore de la question du droit des femmes. Mais le vrai engagement vient avec Dar Assabah, lorsqu’elle décide de faire grève et persiste jusqu’au bout. Après plus d’un mois de sit-in et de mobilisation, Melek espère que l’élan du 17 octobre donnera lieu à un réel changement.

Avec une participation de près de 90 % des journalistes tunisiens, la grève générale a été considérée comme un succès bien que le gouvernement ne se soit pas encore exprimer sur d’éventuels changements dans le secteur. Une réunion entre les membres de la Troïka avant la grève a pourtant abouti sur la décision d’appliquer le décret loi 116 qui permettrait de réguler le secteur de l’audiovisuel. Ce décret devrait aussi mettre en place une Haute instance indépendante de l’audiovisuel qui garantirait un certain contrôle au niveau des nominations à la tête des médias publics. Pour Dar assabah, des négociations ont eu lieu avec le Ministre des affaires sociales Khalil Zaouia, le syndicat des journalistes, l’UGTT et les journalistes. Une annonce officielle sur l’avenir de Dar Assabah ainsi que celui de son directeur général, Lotfi Touati, sera faite vendredi 18 octobre. Pour Azza comme les autres la solidarité du 17 octobre a surtout montré un combat qui «ne fait que commencer» pour la liberté d’information en Tunisie.

La grève générale a rassemblé les journalistes devant le syndical national à Tunis le 17 octobre. Crédits photos: Jihed Mabrouk

Lilia Blaise

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